Etienne SAWADOGO est un écrivain burkinabé né à BAM en 1944.
Dans les années 1970, il arrive à Brest et il fera une carrière de professeur d’anglais à Landerneau.
Il est un des fondateur de l’Association Bam Bretagne qui soutient des actions de développement dans la région dont il est originaire au Burkina Faso.
Voici les trois livres qu’il a écrit et qui sont disponibles dans le réseau des bibliothèques municipales de BREST :
La défaite du Yargha publié en 1977
Contes de Jadis Récits de naguère aux nouvelles éditions africaines en 1982
Le gigot de mouton publié en 1990
Vous trouverez ci dessous les premières pages de "la défaite du Yargha" où Etienne SAWADOGO nous fait partager ses souvenirs d’enfance dans la HAUTE VOLTA qui était alors une colonie française :
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L’ « HERNIE » DE TEGWENDE
Tégwendé, quand l’Homme Blanc était encore maitre du pays, fut convoqué avec d’autres jeunes gens de son âge, aux tests qui devaient prouver son aptitude ou son inaptitude au service militaire. La veille du test, tous ceux qui n’avaient pas le cœur d’aller combattre les Indochinois ou, disons tout simplement ceux qui ne voulaient pas quitter le village pour des contées inconnues s’enfuirent qui à Bologtanga, qui à Pilsaw ou tout bonnement dans les grottes des collines environnantes. Ces derniers ne furent d’ailleurs pas longs à être dénichés et déclarés aptes au service sans autre forme de test que de savoir s’ils étaient capables de courir, chose indispensable, comme le leur dirait le caporal recruteur ironiquement, en cas de repli tactique. Mais Tégwendé n’avait pas eut le temps d’envisager cette solution de fuite. Il faut dire que les autorités prenaient soin de ne pas diffuser la date du recrutement. Elles savaient par expérience qu’une fois la date connue, elles ne trouvaient dans les villages que les vieux, les enfants, les perclus, bref, tout un chacun certainement pas fait honneur à la glorieuse Armée Française. Aussi le recrutement se faisait-il par surprise, et seuls réussissaient à s’échapper ceux à qui l’indiscrétion de certains notables du village avait mis la puce à l’oreille. Ce jour là donc, tous ceux qui ne voulaient pas se mêler des affaires des Indochinois avaient discrètement déserté le village, sauf un . . . Tégwendé. Il habitait un peu à l’écart et la nouvelle ne lui parvint que vers six heures du matin. Alors qu’il allait tranquillement visiter ses lacets tendus la veille pour attraper quelques perdrix, il rencontra par hasard Pusraogo qui le considéra d’un air plutôt bizarre.
Mais que fais tu dans le village aujourd’hui ?
Tégwendé ne comprit d’abord pas pourquoi, tout d’un coup, il n’avait plus droit de vivre dans le village, et précisément ce jour-là ; mais chez nous où le regard dit plus long que la parole, Pusraogo n’eut pas besoin d’être plus explicite. Maintenant son bonnet sur la tête de sa main gauche, tandis que sa main droite battait l’air à la manière d’un balancier, Tegwendé, en quelques enjambées, regagnait sa concession. Tiga, sa femme, fut mise au courant de la situation. Il fallait faire vite. Tiga qui ne passait ni pour la plus gourde ni pour la plus idiote du village, imagina l’astuce de la « hernie ». Elle se rappelait que son propre père avait échappé, oh ! il y a bien longtemps de cela, à cette contrainte que représente le service militaire, parce qu’il était doté d’une hernie, le gouverneur ne tenant sans doute pas à entraver la bonne marche des troupes françaises par des bagages aussi inutiles qu’encombrants. A peine conçue, cette idée fut mise à exécution. A l’aide d’un gros melon à faire des calebasses, Tiga, en un tour de main, avait confectionné une hernie assez grosse pour décourager même les plus intransigeants qui auraient pu se dire qu’en somme une anodine boursouflure ne devait pas constituer un obstacle majeur à l’enrôlement d’un homme autrement bien portant. La fausse hernie fut hâtivement ajustée aux attributs de Tégwendé dans le secret de la case commune et le patient aussitôt mis au lit. Quand le tambour roula pour le rassemblement sur la place du marché, le caporal chargé du recrutement fut bien étonné de constater que le village, si renommé pour la qualité de sa main d’œuvre quand il y avait un sisoaga* n’était plus qu’un repaire de vieux radoteurs et d’enfants impertinents dans leur curiosité. Il commença néanmoins l’appel, mais chaque nom prononcé était suivi d’un silence lourd et inquiétant. Le caporal jetait un regard furibond sur l’assemblée avant de passer au suivant.
Gomraogo ?
Amadé ?
Noraogo ?
Rien. C’était à croire qu’aucun de ceux dont il venait de citer le nom n’avait jamais vécu dans ce village. Bavant de colère et pointant son gros dit tremblant sur le Teng’soba**, il menaça le village de punitions les plus exemplaires et les plus sévères si, à la prochaine séance, tous les noms cités n’étaient pas présents. Il n’en continua pas moins l’appel.
Quand le tour de Tegwendé arriva, quel ne fut le désespoir du caporal en constatant, d’un simple et rapide coup d’œil, que son invalidité était complète. Ramener un tel homme au camp signifierait son licenciement sur-le-champ ; ne ramener personne ne le mettait pas non plus à l’abri de cette éventualité. Tegwendé fut déclaré inapte et renvoyé chez lui. Mais le caporal ne se contenta pas de simples invectives ; il fit battre les bois environnants, explorer les grottes et fouiller les fonds des cases. C’est ainsi que Tiraogo fut découvert dans une grotte, Amadé dans un gros baobab, et Tanga sous une natte qui prétendait recouvrir du mil destiné à la préparation du dolo***. Cette prise, bien que maigre, sembla satisfaire le caporal, heureux de ne pas repartir les mains vides.
*Sisoaga (pluriel : sisosé) travail qui réunit tous les membres de la communauté, pour aider l’un des leurs qui, sans cela, ne pourrait jamais le faire seul, en temps opportun.
** Teng’soba : chef traditionnel chez les Mossi.
*** Dolo : bière locale à base de mil. Dolotière : femme qui prépare le dolo.
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